Wellbeing and Social Change

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L’école

Sur la terrasse de mes parents, alors que j’étends le linge, j’observe au loin l’école maternelle de mon enfance. La douce odeur fraîche des vêtements mouillés m’extirpe du quotidien pour m’amener vers un souvenir. J’avais 7 ans :

Interrompue dans mes rêveries par la voix de la maîtresse qui me surprend en pleine contemplation… elle crie mon nom, je sursaute... extirpée de mes songeries, je rougis de honte. Je suis surprise, mise à découvert de ce que j’ai de plus intime, de plus précieux : ma rêverie.

Retour à la réalité. Celle de la salle de classe, du tableau vert, de la craie poussiéreuse, de mon bureau vêtu d’encre, de feutre et de ratures faites par tant d’autres élèves avant moi. Juste à côté, je regarde ma sœur et ma cousine. Toutes deux ont leurs visages plongés dans leurs mains. La tête légèrement penchée, le nez en l’air, kidnappées elles aussi par leurs rêveries, ce doux échappatoire, ce précieux don que la vie nous a offert, cette liberté de vagabonder vers un monde, n’importe quel monde, celui dont on a besoin lorsque nous sommes enfants, un monde plus doux, plus flamboyant ou plus calme. L'école et le florilège d'enseignants. L'extrême sévérité et l'authenticité de l'un, la douceur des yeux bleus lumineux de l'une, ou la rondeur de l'autre. Je n'oublie pas leurs formes, longues et rigides, élégantes et élancées ou rondes et chaleureuses.

Qu'ai-je appris ces années-là ? Je me souviens avoir tracé mes premières lettres et mes premières phrases colorées de formes géométriques. La découverte de la lecture et la découverte des livres, des histoires. Certaines ne m'ont pas quittée, comme Les fables de La Fontaine ou “Mishka” de Marie Colmont. Je n'oublie pas non plus l'apprentissage du dessin et les spectacles de fin d'année.

L'école. Mes premiers amis. Mes premiers grands amours. Et cet apprentissage qui coule sur moi, qui ne s'imprègne pas. J'entends les longs monologues des professeurs, je revois à nouveau leur forme, la couleur de leurs cheveux, leurs gestes, leur essence professorale. J'observe et contemple parfois ces hommes et femmes qui nous parlent mais je ne retiens rien de ces mots qui sonnent creux. Cette connaissance que je convoite aujourd'hui me semblait si désuète, absente, dénuée de sens. Les leçons que nous devions souvent apprendre par cœur me faisaient somnoler.

Alors je pars, chaque soir, à l'heure des devoirs, mon esprit divague, il s'échappe loin, si loin dans ce monde vivifiant où je suis l'aventurière que je veux être ; loin de l'école, je m'en fuis. Je ressurgis souvent pour reprendre une ligne ou deux de mes cours avant de m'endormir à nouveau. Apprendre mes leçons me prend des heures. Rien de ce que j'apprends ne me percute, ne m'interpelle. Je pense à ce qui m'indigne, à ce que j'observe autour de moi. Je me nourris de ce que j'observe, de ce que je ressens ; je deviens une experte de l'écoute, mais lentement. Je dérive, portée par les sentiments trop prenants et les rencontres malheureuses. Je dérive et m'éloigne des livres que j'aimais tant. L'autre. L'autre devient l'objet de mes convoitises, l'autre, son histoire, sa singularité. Mon amour de l'autre, des autres, me conduit, me guide et m'éloigne progressivement de l'amour du moi. Heureusement, l’écriture, elle, est restée. Dans mes journaux intimes, je cachais les mots, la vérité des mots, ces mots qui peuvent faire mal. Mals en décrivant l’essence de ce que je vivais, avec distance, avec contemplation, des descriptions abstraites et symboliques des souffrances et incertitudes que mon corps d’enfant puis d’adolescente vivait.

Ce moi, je l'ai retrouvé aujourd'hui, comblée par la quête du beau. Le beau, qui se révèle à nous au travers de la nature. Celui qui se cache dans tous les recoins de notre imaginaire, le beau.

Le sac de linge est vide. La main de ma fille qui vient tirer légèrement le bas de mon t-shirt et sa voix douce qui m'appelle me sortent de ma rêverie. Retour à la réalité du quotidien. Des années ont passé depuis ces escapades de rêves pendant ma scolarité. Quelle sera ma prochaine échappée ?